Une légère brise fait mourir à tes pieds de timides vaguelettes. Tu ne les remarques pas. Les peupliers, tutoyant le ciel, frémissent et leurs feuilles argentées se balancent et gémissent mollement. Tu ne les entends pas. Tu as fait le silence autour de toi. Un silence gorgé de lumière dans cet après midi flamboyant de l'été. Tu te fermes à la beauté qui t'entoure. Tu ne veux pas la voir, elle ne t'intéresse plus. Tu dois accomplir comme chaque été ton pèlerinage de mémoire. Rien ne saurait t'en dispenser. Tu attends ce moment avec une joie mêlée de douleur.
Assise près des ajoncs et des roseaux qui ourlent le lac, accablée de solitude, tu rêves, Anna. Tu rêves et tu te souviens. C'était exactement à cet endroit que tu l'attendais. Tu arrivais la première, impatiente de le voir, de l'embrasser, de l'aimer. Tu as mal, toujours mal à cet amour où tu te perds et que tu ne peux oublier. Mais tu adores cette maladie car elle te rapproche de lui. Tu ne souhaites pas en guérir. Elle est la seule chaîne qui t'attache encore à lui.
Tu fixes la vieille barque à la couleur délavée qui git, là, abandonnée. Comme toi. Des libellules dansent, gracieuses. Les rayons du soleil projettent sur le vert écaillé de l'embarcation les éclats bleutés de leurs ailes. Elle tangue doucement, la barque. On dirait qu'elle attend elle aussi son retour. Personne ne savait comme lui la faire danser sur le lac.
Tu aimais tellement ces instants où, blottie dans ses bras, tu étouffais de joie. Vous étiez tous deux encore baignés d'enfance et la vie, une vie merveilleuse s'offrait à vous. Tu le croyais. Tu en étais sûre. Qui ou quoi aurait pu briser vos liens et mettre un terme à votre bonheur ? Et pourtant.
Chaque jour de cet été trop vite enfui, vous vous retrouviez au bord du lac. Il était le témoin discret et enchanteur de vos amours naissantes. La barque. Tu penses bêtement qu'elle est à l'origine de ta peine et tu la hais. De toutes tes forces. Tu la regardes frissonner, bercée par le faible remous que carpes et brochets en chasse font naître sur l'eau scintillante. Elle est toujours là à te narguer malgré le temps qui passe.
Il n'avait qu'une idée en tête : traverser le lac. Encore et encore. Il disait que l'eau était son élément. Qu'il avait besoin d'elle. Tu le perdais déjà dans ces moments qu'il aimait par dessus tout et toi, tu ne le savais pas. Il ramait inlassablement. Tu te laissais porter sans remarquer son regard lointain. Puis il se mit à parler voyages, aventures. Il disait étouffer dans une vie qu'il trouvait trop étriquée. Tu commençais tout doucement à comprendre. Tu goûtais alors dans ses baisers le vent du large avec crainte. Tu avais peur. Mais il savait te consoler. Tu ne demandais qu'à oublier. Ce fut un été magnifique.
Il est parti sans attendre l'été suivant qui devait sceller votre union. Juste une lettre pour t'assurer de son amour et d'un prochain retour. Une malheureuse et unique lettre que tu gardes comme une relique. Cette quête pour sa liberté dure depuis cinq ans. Tu sais qu'il navigue d'un océan à l'autre, d'une mer à l'autre. Que ses rêves sont devenus réalité. Tu lui pardonnes, tu ne veux que son bonheur pourtant égoïste. Et toi tu vogues sur ton rêve inutile et obstiné. Tu sais qu'il ne reviendra pas. Pourtant, tu tentes d'y croire encore. Follement. Tu reviens au bord du lac parce que c'est ici que tu le retrouves. Tu restes immobile, t'inventant des chimères jusqu'à ce que l'eau soit blanche de lune. Alors, tu te lèves, engourdie, le cœur gros, portant ton chagrin comme une cape trop lourde.
Mais il faut vivre Anna. Une étoile brille pour toi dans cette nuit qui t'emplit de tristesse. L'enfant t'attend. Tu lui diras un jour. Tu lui apprendras le lac. Tu lui raconteras ce bel amour qui t'a uni à son père et dont tu es si fière. Il comprendra.
Quelle merveilleuse histoire, et si bien contée...
RépondreSupprimerl'ombre de Léopoldine plane sur cette tristesse d'amoureuse, le temps suspend son vol, mais l'espoir est là, dans l'enfant porteur de joie qui prolonge l'amour au-delà de la mort.
Très beau, Marité.
¸¸.•*¨*• ☆
Oui c'est vraiment extrêmement bien rendu... merveilleusement décrit. Même si j'aime les histoires gaies, J'ai aimé...
RépondreSupprimerC'est très joli. Quand l'appel du large est plus fort que tout...
RépondreSupprimerquel tableau magnifique, magique
RépondreSupprimeret une fin prégnante, poignante
très très beau, oui
:)
Oh Fanny ! Le Marius n'a pu résister à l'appel du large, ne celui des îles sous le vent...
RépondreSupprimerBeau récit Marité, ce lac et ses mystères.
Chacun a un jardin secret où se promener les jours de mélancolie, pour Anna, c'est ce lac, si bien décrit, où s'est joué le bonheur...
RépondreSupprimerTrès belle histoire, émouvante !
"Jusqu'à ce que l'eau soit blanche de lune" : j'aime beaucoup cette métaphore. Le reste, comme Andiamo. :)
RépondreSupprimerTrès poignant et quasiment intemporel ; au bord du lac, au bord des larmes... J'ai vraiment aimé ton texte malgré la tristesse évidente d'Anna.
RépondreSupprimerWahh. Très très belle histoire merveilleusement bien écrite. Émouvant, poignant, bref, j'ai a-do-ré.
RépondreSupprimerLa barque symbole du départ de l'homme aimé, qui reste sur le lac comme pour narguer la femme délaissée par cet aventurier égoïste. Vraiment sublime.
ton texte est comme la description d'une peinture où la femme de marin, silhouette solitaire, vit sa tragédie à terre et les yeux perdus dans le lointain
RépondreSupprimerPour vos coms, merci ! J'aime bien, de temps en temps, écrire des histoires tristes. ;-) Les histoires sont à l'image de la vie n'est-ce pas, tantôt drôles, tantôt désenchantées.
RépondreSupprimer"C'est la mer qui lui a pris l'homme" aimé... Émouvant. De belles images.
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