lundi 5 février 2018

Andiamo - Le chat me fixe

Madame Ruppert.

Madame Ruppert habitait un petit pavillon de la banlieue nord, cette banlieue autrefois si paisible, avec ses maisonnettes, ses jardinets, ses haies vives, encore quelques terrains vagues dans lesquels le jeudi les gamins pouvaient s'en donner à coeur joie, et pas l'ombre d'une cité...
Elle vivait seule depuis pas mal d'années, on disait qu'elle avait été mariée autrefois, et même qu'elle avait eu un fils, Christian, un garçon un peu différent dirait-on aujourd'hui.
Grand pour son âge, costaud, très brutal dans ses jeux, le regard fuyant, et un âge mental très en deçà de la moyenne, si tant est qu'une moyenne existât dans ce domaine.
Mais enfin, nul besoin d'être fin psychologue, pour s'apercevoir que quelque chose ne tournait pas rond chez ce garçon.
Puis, un jour, la mécanique s'emballa, Christian devenait de plus en plus violent, il alla jusqu'à mordre un de ses camarades de classe, car malgré les réticences du corps enseignant, Madame Ruppert avait réussi à le faire admettre en maternelle.
Cela lui fera le plus grand bien, avait-elle plaidé : ça me le socialisera, et puis il faut que les autres apprennent la différence.
Loin de le socialiser, son fiston devenait ingérable, à la moindre contrariété, au moindre "non", Christian entrait dans des rages folles, frappant du pied, des poings, jetant tout ce qui lui passait sous la main.
Jusqu'à ce matin où, pour un motif futile, une histoire de vignette je crois, sur laquelle figurait un chaton, il se rua sur un blondinet, qui bien qu'ayant le même âge que lui, mesurait une tête de moins ! Il lui planta ses dents dans la joue, le mordant cruellement. Quand on les sépara, le blondinet portait une jolie empreinte de la mâchoire de Christian, le sang pissait, le gamin hurlait, les parents portèrent plainte.
Madame Ruppert retira donc son fils de l'école, on n'en parla plus. Quand par hasard une voisine lui demandait de ses nouvelles, elle répondait toujours :

- Oh, vous savez, mon Cricri est placé dans une maison spécialisée, il est bien soigné, et peut-être qu'un jour on me le rendra !
La conversation s'arrêtait là, la complaisance des voisins n'allait pas au-delà de ces petites phrases de politesse, des fois que ce soit contagieux !
Et puis dans le quartier commença une série de disparitions, un par un les matous se volatilisèrent.
Tout d'abord celui de Madame Maheux, un gros chat Angora, superbe, énorme, il avait été castré très jeune, pour être tranquille, avait assurée l'émasculeuse ! Depuis la disparition de "Pacha", c'était son nom, la pauvre femme se lamentait auprès de qui voulait bien lui accorder audience, on se lassa, les gens l'évitaient, ne voulant plus entendre ses jérémiades.
Ce fut bientôt le tour de "Gaston", un greffier certifié chat de gouttières pure race, pas bien gros, l'œil torve, toujours prêt à chaparder, rôdant autour des poulaillers, surtout au moment de l'éclosion des poussins, des fois qu'un inconscient échappe à la vigilance de la Leghorn. Ses maîtres épinglèrent des affichettes sur les poteaux électriques, en bois à l'époque, sans résultats.
Puis ce fut le tour de "Minette", une jolie petite chatte tigrée, câline, qui faisait la joie des deux fillettes de Monsieur et Madame Mariotti, elle cantinière à la ville, lui maçon, comme tous les Ritals qui vivaient à l'époque dans ces banlieues. Il avait bien demandé aux voisins "l'a pas vou il gato de mio ? Minetté ? L'a perdoue !"
Mais non, personne ne l'avait vue, la jolie "Minetté". Ensuite il y eu Noiraud, Pervenche, et même Pompon, le rouquin ! Un chat si vieux, que tout le monde le connaissait, il avait vu naître les gamins du quartier, certains lui avaient tiré la queue, d'autres jeté des cailloux, mais lui, pépère, il n'était pas rancunier, il se laissait caresser par ceux qui naguère l'avaient tourmenté !
Alors là, le quartier en avait pris un coup ! Qui aurait pu faire du mal à Pompon ? Tout le monde se mobilisa, on chercha dans les terrains vagues, sous les haies, chacun inspecta sa cave, des fois que... Mais rien, le vieux sage, Rouquemoute comme on le surnommait restait introuvable.
Madame Ruppert, un plateau tenu à deux mains, pousse du pied la porte menant à la cave. Sur ce plateau, une belle assiette de hachis Parmentier, un gros morceau de pain, une pomme, et puis une carafe d'eau.
Parvenue au bas de l'escalier, face à elle, une porte cadenassée. Madame Ruppert pose le plateau à terre, sort une petite clef plate de sa poche, ouvre le cadenas et pousse la porte.
Bonjour, mon chéri ! Sur un lit, dans un coin de la pièce, Christian est couché, abruti par les somnifères que sa Maman lui dispense chaque jour.
Il a bien grandi son bébé ! Un mètre quatre-vingt douze au bas mot, et un poids à trois chiffres ! Vêtu d'une salopette genre "bleu de chauffe". Maman dépose le plateau sur la petite table, Christian se lève, émet un grognement, puis après avoir tiré bruyamment la chaise en bois blanc et s'être assis, se jette sur la nourriture, s'empiffrant comme un porc !
Maman regarde manger son "petit", un sourire attendri sur son visage vieilli. Quand il a fini, elle ramasse le plateau, Christian émet un autre grognement, puis retourne se coucher, rote bruyamment.
"Bébé profite", lâche Maman, puis elle se baisse, ramasse ce qui ressemble à un manchon, ces fourreaux que les élégantes portaient autrefois l'hiver, elles glissaient leurs mains dans ce genre de gros tube en fourrure pour se tenir chaud.
Celui-çi est un peu orangé, non je dirais plutôt roux, elle le pose dédaigneusement sur le plateau, puis se relevant elle ajoute : "Mon Cricri a bien joué avec le chat ? Maman lui en rapportera un autre bientôt" !

- Regarde M'man le chat me fixe, bredouille Cricri, z'ren veux un autre, un bien zentil...
- Oui mon gros bébé, en attendant, tu vas être bien sage, tout à l'heure, Maman viendra nettoyer tout ce vilain sang sur les murs...

24 commentaires:

  1. Un gros bébé qui pourrait être né de l'imagination de Stephen King !!
    Un thème qui démarre fort...

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    1. Vegas : Jessica de Stephen King, l'un de mes préférés.

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  2. Comme tout est si bien narré,les images et les "non dit" si bien suggérés...
    J'ai tout lu précipitamment tant je voulais connaître la fin et en même temps je la redoutais. On pourrait croire une histoire vraie ! Bravo !

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    1. Maryline 18 : Une histoire vraie ?... Va savoir ? ];-D

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  3. bien raconté, et j'ai aimé la chute inattendue

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    1. Cavalier : c'est surtout le greffier qui a chuté ! ];-D

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  4. Quoi ... une autobiographie d' assassin ... et tu crois qu' on va laisser passer ça ?
    J' viens d'appeler tous les membres de notre congrégation des témoins de géochah, les chatluminatis et aussi les franchatmaçon !!! Autrement dit ... ça va chier pour ton grade mon gars, tu vas avoir des lendemains difficiles, des nervousses brikdanes !;o)

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  5. waaaahhh Je commence tranquilou ma lecture de textes félins et me prends cet énorme coup de griffe dans le museau ! Sacré histoire !! Comme l'a dit vegas, on démarre sur les chats peaux de roux.

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    1. Tomtom : Que veux tu mon bon Tomtom, dans la famille nous aimons beaucoup le chat, en sauce avec des champignons. ];-D

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  6. Que ne ferait pas une mère pour son fils, tout aussi cinglé doit il !!!! ;-)

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    1. Mapie : Tout petit elle lui lisait "Le chat botté" En vieillissant le chat lui botte toujours. ];-D

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  7. cependant, on peut comprendre ainsi d'où vient la tare congénitale :)

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    1. Tisseuse : je pense qu'ils vont devoir déménager au motif : pénurie de greffiers ! ];-D

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  8. J'ai toujours adoré tes histoires sentimentales et poétiques, Andiamounet...
    C'est fin, ça se mange sans faim...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. C'est fin et ça se mange sans faim... Tu veux une recette du matou à la moutarde ?
      Hélas tu n'as pas su lire la détresse d'une mère, prête à encourir les foudres d'un quartier afin de satisfaire l'obsédant besoin ressenti par son fils, de câliner (un peu brutalement il est vrai) Raminagrobis.

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  9. Voilà une histoire qui tient en haleine, donne le frisson et griffe le cœur.

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    1. Lira : Raminagrobis horribilis en quelque sorte. ];-D

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  10. Juste un peu affreux, mais bien mené et bien écrit !
    J'ai pensé - si tu connais - à l'énorme, goinfre, violent et capricieux bébé de Yubaba dans "Le voyage de Chihiro" de Myazaki...

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    1. JCP : Non je ne connais ni Yubaba, ni Myazaki, mais ça ne m'étonne pas de moi !
      Histoire affreuse ? Tu as vu le traitement infligé aux animaux dans les abattoirs ? Mais on en reprend une tite tranche quand même ! ];-D

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  11. On a tous connu des histoires de chats qui disparaissent et ici, il y a même eu un procès fait à un boucher...C'est ça quand il y a pénurie de porc ou que le prix au kg est trop haut. :-)
    Andiamo, ton histoire est horrible mais si bien racontée !

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    1. Marité : Tu sais Marité je ne fais que raconter, des histoires semblables existent...
      Bon il faut que je te laisse, Pompon a hâte de jouer avec son Cricri d'amour ! ];-D

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  12. Réponses
    1. Tiniak : Je me demande si le chat c'est recommandé pour le squash ?

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