HANAMI.
Malgré le couvercle de plomb qui coiffait le "Manhattan project", il y avait eu ça et là quelques fuites, ô certes des petites fuites, un minuscule filet tout au plus. Rumeur, quand tu nous fais douter... Les Yankees possédaient LA bombe, l'utiliseraient ils ? La rumeur couvait insidieuse, dérangeante...
Shirô Nakamura marchait d’un bon pas, il s’agissait de ne pas arriver en retard. Monsieur Tanaka, le professeur d’histoire, ne supportait pas le moindre retard, ni le moindre manquement aux règles élémentaires de la bienséance.
L’air était doux en ce matin d’Avril, les sakuras (cerisiers) commençaient à fleurir. Dans deux jours, ce serait la fête. Kasumi irait avec sa famille pique-niquer, sous les arbres en fleurs.
Parfois et par chance, une brise printanière se levait, faisant voltiger les pétales, ajoutant un nuage virevoltant au bonheur de la journée.
Deux mois plus tôt, Shirô avait osé aborder Kasumi. La douce et timide jeune fille l’avait impressionné par la perfection de son visage aux traits si fins. Ses cheveux coupés courts, avec une frange bien délimitée, juste au-dessus de ses yeux à peine bridés, en soulignaient la beauté.
Un soir après les cours, il lui avait proposé de la raccompagner chez elle, afin de lui porter ses livres !
Futile prétexte, arguant que les professeurs perdaient la raison : obliger de frêles jeunes filles à trimballer pareil fardeau !
Kasumi avait souri, elle n’était pas dupe, Shirô lui plaisait bien, il était gai et enjoué, alors elle accepta.
Tout au long du trajet, Shirô se moquait gentiment en voyant les « Teru-Teru Bouzu », ces petites poupées de papier pendues aux fenêtres et censées éloigner la pluie ! Mais le Dieu Suijin, le maître de la pluie, n’en avait cure et agissait à sa guise. Kasumi souriait à chacune de ses moqueries, fort discrètement, pratiquant à merveille l’enryo (la retenue) comme il sied à une jeune fille bien élevée.
Pas question non plus de se tenir par la main, ce serait inconvenant. Il leur arrivait d’aller se promener au bord du fleuve Ota, restant de longues minutes à contempler les vaguelettes, échangeant un regard, un sourire. A ses cotés, il était bien loin le Shirô un peu fanfaron, voulant épater ses copains !
Dimanche serait la fête appelée ici : « Hanami » (regarder les fleurs). Kasumi et Shirô avait mis au point un stratagème afin que leurs familles respectives se rencontrent.
Chacun de leur côté, ils tenteraient de convaincre leurs parents d’aller pique-niquer dans le joli parc, situé près du siège du commerce et de l’industrie : Genbaku dôme.
Le Mercredi, ils s’étaient retrouvés près du fleuve complice de leurs moments de plénitude.
- Ils sont d’accord, Kasumi, tu entends : d’accord !
- Les miens aussi, avait ajouté Kasumi en même temps que ses joues prenaient une jolie teinte rosée.
Alors dans un élan, Shirô avait déposé un baiser sur la joue de la jeune fille. Surprise, sa bouche s’était arrondie, puis la stupeur avait laissée place à un large sourire.
Maintenant Shirô en était sûr : elle l’aimait !
Le lendemain, Kasumi avait préparé les « bentô » (le repas du midi, une collation) pour eux deux, les Kappamaki, ces petits rouleaux de riz remplis de concombres, avec une feuille de Noki autour. Lui signifiant ainsi qu’elle saurait le moment venu bien s’occuper de lui, élever les enfants, et tenir une maison : tels étaient les devoirs de l’épouse Japonaise en ces temps.
Bien sûr, le jeune homme l’avait vivement complimenté, en rajoutant même, roulant les yeux de plaisir à chacune des bouchées avalées. Kasumi le gratifiait d’un sourire à chacune de ses facéties.
Le dimanche, Madame et Monsieur Kimura, les parents de Kasumi, s’étaient installés pour le traditionnel pique-nique de Hanami, sous un très joli cerisier en fleurs. Le ciel était radieux et l’ombre qu’il dispensait était la bienvenue.
A peine installés, Shirô arriva, suivit de ses parents ainsi que de son jeune frère. En passant devant Kasumi, il feignit la surprise, s’inclina pour un salut très respectueux.
- C’est un camarade de classe, balbutia Kasumi…
Si vous voulez vous joindre à nous, proposa Monsieur Kimura en s’inclinant également devant Monsieur Nakamura et en désignant la place vacante près de la leur, car je crois qu’il y a beaucoup de monde ici, et que les places sont rares.
- Avec grand plaisir, et ce sera un honneur, répondit Monsieur Nakamura, en se pliant littéralement en deux. Nous partagerons les « dango » (boulettes de riz que l’on partage lors de la fête des cerisiers).
Ainsi, la ruse grossière dont personne n’était dupe fonctionna à merveille.
Les deux jeunes gens se virent de plus en plus fréquemment. Les présentations avaient été faites, les parents de Shirô s’étaient rendus chez ceux de Kasumi.
En guise de présent, quelques oranges soigneusement emballées. Au pays du soleil levant, ces quelques fruits étaient hors de prix et représentaient une marque d’attention exceptionnelle.
Près de quatre mois s’étaient écoulés depuis que Shirô avait raccompagné la douce Kasumi pour la première fois. Le mois d’Août commençait. La chaleur n’était pas trop accablante sur l’île de Honshû, baignée par la mer intérieure. Leurs longues promenades le long du grand fleuve Ota, leur apportait fraîcheur et détente à l’ombre des vieux saules.
Loin des regards, ils s’étaient embrassés, prenant garde à ce que personne ne les voient !
Ce lundi d’août, Shiro avait donné rendez-vous à Kasumi, ainsi qu’à une bande d’amis. C’étaient les vacances, le soleil radieux commençait à chauffer malgré l’heure matinale, ils devaient se retrouver dans le parc dans lequel ils avaient pique-niqués quelques temps auparavant.
Shirô arriva le premier, il était huit heures. Quelques minutes plus tard, ce fut Kasumi. Il la vit de loin avec son corsage blanc et sa jupe plissée bleu marine, de fines sandales aux pieds, elle courait en agitant les bras, insouciante des regards qu’on aurait pu lui porter, elle ne voyait à cet instant que son amour, elle entendit à peine le vrombissement de l’avion très haut dans le ciel radieux.
Tous deux ne levèrent pas les yeux, habitués de voir passer depuis quelques années, de nombreux bombardiers Mitsubishi.
Celui-ci était pourtant différent , c'était un Boeing B-29, il s’appelait Enola Gay, il portait dans ses flancs un « little boy » couvert d’injures à leur encontre, et lui-même portait dans son ventre les mille soleils d’Hiroshima.
Rumeur ? Vous avez dit rumeur ?
Malgré le couvercle de plomb qui coiffait le "Manhattan project", il y avait eu ça et là quelques fuites, ô certes des petites fuites, un minuscule filet tout au plus. Rumeur, quand tu nous fais douter... Les Yankees possédaient LA bombe, l'utiliseraient ils ? La rumeur couvait insidieuse, dérangeante...
Shirô Nakamura marchait d’un bon pas, il s’agissait de ne pas arriver en retard. Monsieur Tanaka, le professeur d’histoire, ne supportait pas le moindre retard, ni le moindre manquement aux règles élémentaires de la bienséance.
L’air était doux en ce matin d’Avril, les sakuras (cerisiers) commençaient à fleurir. Dans deux jours, ce serait la fête. Kasumi irait avec sa famille pique-niquer, sous les arbres en fleurs.
Parfois et par chance, une brise printanière se levait, faisant voltiger les pétales, ajoutant un nuage virevoltant au bonheur de la journée.
Deux mois plus tôt, Shirô avait osé aborder Kasumi. La douce et timide jeune fille l’avait impressionné par la perfection de son visage aux traits si fins. Ses cheveux coupés courts, avec une frange bien délimitée, juste au-dessus de ses yeux à peine bridés, en soulignaient la beauté.
Un soir après les cours, il lui avait proposé de la raccompagner chez elle, afin de lui porter ses livres !
Futile prétexte, arguant que les professeurs perdaient la raison : obliger de frêles jeunes filles à trimballer pareil fardeau !
Kasumi avait souri, elle n’était pas dupe, Shirô lui plaisait bien, il était gai et enjoué, alors elle accepta.
Tout au long du trajet, Shirô se moquait gentiment en voyant les « Teru-Teru Bouzu », ces petites poupées de papier pendues aux fenêtres et censées éloigner la pluie ! Mais le Dieu Suijin, le maître de la pluie, n’en avait cure et agissait à sa guise. Kasumi souriait à chacune de ses moqueries, fort discrètement, pratiquant à merveille l’enryo (la retenue) comme il sied à une jeune fille bien élevée.
Pas question non plus de se tenir par la main, ce serait inconvenant. Il leur arrivait d’aller se promener au bord du fleuve Ota, restant de longues minutes à contempler les vaguelettes, échangeant un regard, un sourire. A ses cotés, il était bien loin le Shirô un peu fanfaron, voulant épater ses copains !
Dimanche serait la fête appelée ici : « Hanami » (regarder les fleurs). Kasumi et Shirô avait mis au point un stratagème afin que leurs familles respectives se rencontrent.
Chacun de leur côté, ils tenteraient de convaincre leurs parents d’aller pique-niquer dans le joli parc, situé près du siège du commerce et de l’industrie : Genbaku dôme.
Le Mercredi, ils s’étaient retrouvés près du fleuve complice de leurs moments de plénitude.
- Ils sont d’accord, Kasumi, tu entends : d’accord !
- Les miens aussi, avait ajouté Kasumi en même temps que ses joues prenaient une jolie teinte rosée.
Alors dans un élan, Shirô avait déposé un baiser sur la joue de la jeune fille. Surprise, sa bouche s’était arrondie, puis la stupeur avait laissée place à un large sourire.
Maintenant Shirô en était sûr : elle l’aimait !
Le lendemain, Kasumi avait préparé les « bentô » (le repas du midi, une collation) pour eux deux, les Kappamaki, ces petits rouleaux de riz remplis de concombres, avec une feuille de Noki autour. Lui signifiant ainsi qu’elle saurait le moment venu bien s’occuper de lui, élever les enfants, et tenir une maison : tels étaient les devoirs de l’épouse Japonaise en ces temps.
Bien sûr, le jeune homme l’avait vivement complimenté, en rajoutant même, roulant les yeux de plaisir à chacune des bouchées avalées. Kasumi le gratifiait d’un sourire à chacune de ses facéties.
Le dimanche, Madame et Monsieur Kimura, les parents de Kasumi, s’étaient installés pour le traditionnel pique-nique de Hanami, sous un très joli cerisier en fleurs. Le ciel était radieux et l’ombre qu’il dispensait était la bienvenue.
A peine installés, Shirô arriva, suivit de ses parents ainsi que de son jeune frère. En passant devant Kasumi, il feignit la surprise, s’inclina pour un salut très respectueux.
- C’est un camarade de classe, balbutia Kasumi…
Si vous voulez vous joindre à nous, proposa Monsieur Kimura en s’inclinant également devant Monsieur Nakamura et en désignant la place vacante près de la leur, car je crois qu’il y a beaucoup de monde ici, et que les places sont rares.
- Avec grand plaisir, et ce sera un honneur, répondit Monsieur Nakamura, en se pliant littéralement en deux. Nous partagerons les « dango » (boulettes de riz que l’on partage lors de la fête des cerisiers).
Ainsi, la ruse grossière dont personne n’était dupe fonctionna à merveille.
Les deux jeunes gens se virent de plus en plus fréquemment. Les présentations avaient été faites, les parents de Shirô s’étaient rendus chez ceux de Kasumi.
En guise de présent, quelques oranges soigneusement emballées. Au pays du soleil levant, ces quelques fruits étaient hors de prix et représentaient une marque d’attention exceptionnelle.
Près de quatre mois s’étaient écoulés depuis que Shirô avait raccompagné la douce Kasumi pour la première fois. Le mois d’Août commençait. La chaleur n’était pas trop accablante sur l’île de Honshû, baignée par la mer intérieure. Leurs longues promenades le long du grand fleuve Ota, leur apportait fraîcheur et détente à l’ombre des vieux saules.
Loin des regards, ils s’étaient embrassés, prenant garde à ce que personne ne les voient !
Ce lundi d’août, Shiro avait donné rendez-vous à Kasumi, ainsi qu’à une bande d’amis. C’étaient les vacances, le soleil radieux commençait à chauffer malgré l’heure matinale, ils devaient se retrouver dans le parc dans lequel ils avaient pique-niqués quelques temps auparavant.
Shirô arriva le premier, il était huit heures. Quelques minutes plus tard, ce fut Kasumi. Il la vit de loin avec son corsage blanc et sa jupe plissée bleu marine, de fines sandales aux pieds, elle courait en agitant les bras, insouciante des regards qu’on aurait pu lui porter, elle ne voyait à cet instant que son amour, elle entendit à peine le vrombissement de l’avion très haut dans le ciel radieux.
Tous deux ne levèrent pas les yeux, habitués de voir passer depuis quelques années, de nombreux bombardiers Mitsubishi.
Celui-ci était pourtant différent , c'était un Boeing B-29, il s’appelait Enola Gay, il portait dans ses flancs un « little boy » couvert d’injures à leur encontre, et lui-même portait dans son ventre les mille soleils d’Hiroshima.
Rumeur ? Vous avez dit rumeur ?
date terrible du 6 août 1945 :(
RépondreSupprimertu rends très subtilement cette atmosphère faite de tradition qui tranche avec l'énormité de la bombe
Les Américains auraient du conserver "Little Boy" at home !
SupprimerSuperbe texte Andiamounet.
RépondreSupprimerMoi qui adore la littérature japonaise, j'y ai retrouvé l'ambiance particulière des romans de Shimazaki ou de Murakami.
Bref j'adore. Et puis cette sourde menace à peine suggérée...
Une rumeur ...
¸¸.•*¨*• ☆
Merci belle lectrice, j'aime suggérer il est vrai,laisser place à l'imagination. ];-D
Supprimertrès joli récit et dépaysant
RépondreSupprimerla guerre contre la vie
contre les petits bonheurs du quotidien
contre tous les petits détails qui nous font nous
la guerre
de deux clans ou mondiale
au couteau ou à coup d'atomes...
à te relire Andiamo
Cavalier : Merci, l'axe du bien... ça m'a toujours laissé rêveur, ce sont tout de même les seuls à avoir utilisé l'arme nucléaire et ce contre des civils, ce sont eux les si vils !
SupprimerPlus le flirt avançait, plus mon cœur se tordait à l'idée de l'imminente destruction de tout cela par la rumeur devenue réalité. Très beau contraste entre l'horreur à peine évoquée (pas besoin, tout le monde la connaît) et l'amour, la pudeur japonaise, la jolie nature et la gastronomie. J'ai adoré :)
RépondreSupprimerTomtom : L'Amérique représente l'axe du bien... Enfin d'après la rumeur. ];-D
SupprimerC'est fou comme le quotidien peut être charmant, frais et vivant. C'est fou comme l'horreur peut surgir dans ce quotidien et le réduire à néant. Si l'on ne savait pas... y croirait-on?
RépondreSupprimerMapie : Hélas la réalité est parfois (souvent) bien pire que la fiction!
SupprimerUne belle ambiance japonaise - je pense aussi à Murakami - La beauté, l'amour, la nature, la vie. Tout cela tout à coup réduit à néant. Qui a dit "l'homme est un loup pour l'homme." ?
RépondreSupprimerMarité : ça me rappelle aussi ceci : https://youtu.be/luiByXD05hA
SupprimerRien n'est jamais figé, tout peut arriver... Hélas !
La culture japonaise avant la bombe. Bien détaillé, excellent.
RépondreSupprimerPascal : L'oncle Sam contre Sam Ouraï en quelque sorte. ];-D
SupprimerDans la phrase "Les Enfants du Pirée toujours à venir" expliquez ce qui cloche.
RépondreSupprimerTa vision du Japon est superbe et ton portrait de l'"ancien monde" très réaliste. Heureusement que le XXIe siècle sera plus religieux que le précédent ! ;-)
C'est bien ce qui me fait peur !!! ];-D
SupprimerQuant au pire il arrive, Pierre Dac disait : "malheur aux barbus" Quel visionnaire .
Là, chapeau, du grand art, délicat, sensible, profond, juste...et plume inspirée.
RépondreSupprimerLes fleurs...et le champignon...
JCP : Et bien : arigato ! ];-D
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